LE VIRUS DE LA FIèVRE HéMORRAGIQUE DE CRIMéE-CONGO DéCOUVERT EN CORSE

Nouvelle alerte au virus de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo (FHCC). Après les Pyrénées-Orientales en octobre dernier, le pathogène responsable d'une affection proche d'Ebola vient tout juste d'être identifié en Corse par l'équipe d'Alessandra Falchi de l'Université de Corse à Corte. La découverte est publiée dans la revue américaine Emerging Infectious Diseases, éditée par le prestigieux Centers for Disease Control and Prevention (CDC), l'agence fédérale des États-Unis de protection de la santé publique.

Le virus infectait des tiques de l'espèce Hyalomma marginatum, probablement importées par les oiseaux migrateurs depuis l'Afrique. Ces tiques se nourrissaient de sang sur des bovins de deux sites au sud-est et centre-ouest de l'île de Beauté. Ces résultats démontrent que le pathogène circule bien dans les élevages. Dans leur publication, les chercheurs s'inquiètent de la progression du microbe : « La menace d'une éventuelle expansion et circulation continue du virus en Europe occidentale ne doit pas être ignorée. Les professionnels de santé et les autres groupes à risque d'infection, notamment les chasseurs et les agriculteurs, doivent être informés de la circulation du CCHFV en Corse. »

Climat méditerranéen propice

La détection d'octobre dans les Pyrénées-Orientales signalait pour la première fois la présence du virus de la FHCC en France. Le pathogène se trouvait dans la même espèce de tique que celle trouvée en Corse. Une espèce qui s'installe depuis quelques années dans le sud du pays. Ces infatigables suceuses de sang peuvent occasionnellement piquer l'homme et lui transmettre le virus. Elles préfèrent toutefois prendre leur repas sur des animaux. D'ailleurs, les Hyalomma infectées découvertes dans les Pyrénées-Orientales ont été collectées sur des vaches et des chevaux par les chercheurs de l'équipe de Laurence Vial, épidémiologiste au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) de Montpellier.

À LIRE AUSSI Baignade : ce qu'il faut savoir sur l'amibe mangeuse de cerveauCes signalements ne sont qu'un début, car tout reste à comprendre sur la transmission de ce virus. Outre les Pyrénées-Orientales et la Corse, les scientifiques montpelliérains estiment qu'il pourrait circuler dans d'autres départements où la tique est désormais bien installée, comme l'Aude, l'Hérault, le Gard, l'Ardèche, le Var et les Alpes-Maritimes, mais cela doit encore être vérifié. « Nos modélisations prévoient la présence de Hyalomma marginatum dans de nombreuses zones soumises à un climat méditerranéen, car l'espèce a besoin d'un environnement chaud et sec », confie au Point Laurence Vial.

Problème : en raison du réchauffement planétaire, le climat méditerranéen devrait s'étendre dans les prochaines années, et avec lui l'aire de répartition de la tique. Le risque pour l'homme de contracter le virus de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo est fort heureusement considéré comme faible, et aucun cas de cette maladie n'a pour l'instant été rapporté en France.

Des cas mortels en Espagne

La situation en Espagne préfigure peut-être ce qui nous attend en France. De l'autre côté des Pyrénées, le virus circule déjà depuis une dizaine d'années. « Le premier cas humain remonte à 2013. Il y en a désormais deux à trois par an, avec une mortalité de l'ordre de 30 %. Ces infections ne sont que la partie émergée de l'iceberg. Un certain nombre de personnes se font certainement infecter, mais comme elles ne développent pas ou peu de symptômes, cela passe inaperçu », précise Sylvain Baize, directeur de recherche à l'Institut Pasteur et responsable du Centre national de référence des fièvres hémorragiques virales. Ce qui suggère que des personnes ont pu être aussi infectées en France, sans s'en rendre compte.

À LIRE AUSSI Comment le virus de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo est arrivé en FranceOr, à ce jour, il n'existe ni traitement ni vaccin. Plus embêtant encore, le diagnostic est extrêmement compliqué, la première phase de la maladie étant peu spécifique. « Cela ressemble à une simple grippe avec de la fièvre, de la fatigue, des maux de tête, des diarrhées, etc. Les patients ne vont pas forcément consulter pour cela. Et de toute façon, les médecins généralistes ne penseront probablement pas à une fièvre hémorragique », estime Sylvain Baize. Si la maladie évolue favorablement, les symptômes disparaissent. Mais dans le cas contraire, l'état du patient se dégrade très vite, avec des signes plus spécifiques que décrit le chercheur : « Des plaques de sang sous-cutanées, des ecchymoses peuvent apparaître. Des saignements du nez, des gencives, dans les yeux (conjonctive), dans les selles, etc. témoignent d'hémorragies internes nombreuses car le virus se multiplie dans tous les organes. Le patient décède en quelques jours de défaillances du foie, des reins, du système respiratoire ou encore du système cardio-vasculaire. »

Avec le printemps et le retour des beaux jours, les tiques reprennent leur activité. Les premiers cas français pourraient donc apparaître dans les prochaines semaines, avec en première ligne les randonneurs et les éleveurs, les plus exposés aux risques de piqûres. D'autres modes de transmission sont possibles, comme un contact avec le sang des bovins et les muqueuses humaines de la bouche, du nez ou encore de l'?il. Ce risque, probablement très faible, concerne essentiellement le personnel des abattoirs et également les éleveurs. « Nous avons confirmé le cas d'une personne en Côte d'Ivoire, contaminée en tuant un b?uf », assure Sylvain Baize. Enfin, un risque de transmission interhumaine est aussi envisagé, notamment pour les soignants via le sang, les selles, le vomi des patients hospitalisés.

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S'il reste encore de nombreux mystères à percer sur cette nouvelle détection virale, une chose est sûre : la tique est bien le réservoir naturel du virus. C'est sur elle que se concentre l'attention des chercheurs montpelliérains qui viennent de reprendre leur campagne de collecte sur le terrain. Elle peut s'infecter soit au stade adulte quand elle se nourrit de sang sur certains ongulés domestiques comme les vaches, soit aux stades immatures (larve et nymphe) en se gorgeant de sang sur des lapins ou des lièvres. Tous ces animaux sont d'excellents réplicateurs du pathogène mais ne restent infectés que quelques jours avant de développer une réaction immunitaire. Chaque année, à leur reprise d'activité, des tiques infectées pourront à leur tour infecter transitoirement d'autres animaux. Autres maillons probables de la chaîne de transmission, les ongulés sauvages. En Espagne, les cerfs ont le premier rôle avec une autre espèce de tique transmettant le virus, Hyalomma lusitanicum, très friande de ces animaux, alors qu'en France cela ne semble pas forcément le cas.

Il y a peu encore, c'était la tique vecteur de la maladie de Lyme qui faisait régulièrement les gros titres de la presse avec l'arrivée du printemps. Il y a fort à parier que l'Hyalomma marginatum et son inquiétant virus de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo lui volera bientôt la vedette.

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