ALGéRIE : "L'AVALANCHE D'INSULTES SUR LE ROMAN "HOUARIA", SIGNE D'UN RENFORCEMENT DE L’ISLAMISME"

En Algérie, le Grand prix littéraire Assia Djebar 2024 du roman en langue arabe a été accordé au livre Houaria de Inaam Bayoud. Un événement littéraire qui aurait dû être une occasion pour organiser des débats autour de nombreuses questions concernant la société algérienne, la pensée et la littérature en général. Au lieu de cela, le roman a été accueilli par une avalanche d’attaques virulentes et d’insultes.

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L’auteure a été accusée de porter atteinte à la langue arabe, aux valeurs morales et aux traditions algériennes, jusqu’à exiger le retrait du prix au livre et des excuses de l’auteure au peuple algérien. La maison d'édition Mim qui a édité le livre n’a pas été épargnée par une telle violence verbale. Elle a fini par jeter l’éponge en annonçant cesser son activité, ce qui est dramatique pour l’avenir de la littérature algérienne et l’édition d’une manière générale.

Choix de la langue

Que s’est-il passé avec Houaria alors que l’Algérie a donné à l’humanité un nombre important de romans ? Rappelons que Les Métamorphoses, également connu sous le titre L'Âne d'or, qui remonte au IIe siècle après J.C., a vu le jour en terre algérienne. Il a été écrit par Apulée né vers 125 apr. J.-C. à Madaure, actuel Medaourouch dans la wilaya de Souk Ahras, dans l'est de l'Algérie.

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L’utilisation de l’arabe algérien est l’un des arguments mis en avant par les détracteurs du roman. Certains passages du livre qui ont été publiés montrent en effet qu’il a été écrit à la fois en arabe classique et en arabe algérien, que l’auteure a utilisés pour faire parler ses personnages. Ce mélange comme expérience littéraire n’est pas dépourvu d’intérêt. Il est néanmoins important de rappeler que ce n’est pas la première fois qu’un roman d’expression arabe utilise la langue régionale. Par ailleurs, l’arabe algérien est la langue qu’une très grande partie d’Algériens parle et cela permet par conséquent au lecteur d’inscrire les personnages du roman dans sa réalité. Qu’y a-t-il de plus naturel que les personnages d’une histoire, même romanesque, qui se déroule en Algérie, parlent l’arabe algérien ? Le choix de cette langue est imposé également par les personnages du roman qu’il est difficile d’imaginer parlant un arabe classique raffiné.

Les critiques virulentes envers le livre pour avoir utilisé l’arabe algérien s’expliquent par le fait qu’en Algérie, il existe un courant, qui tire ses origines dans l’histoire profonde du Maghreb, pour qui seul l’arabe classique, la langue du Coran et pour beaucoup la langue que Dieu lui-même parle, est recevable. Pour ce courant, l’arabe algérien, qu’il qualifie de dialecte, est une langue populaire et vulgaire qui n’a pas sa place en littérature et c’est ce même courant qui dénigre la langue tamazight (berbère). Dans toute son histoire, plus le Maghreb se radicalisait, plus il développait un complexe d’infériorité par rapport aux Arabes et veut leur ressembler, ce qui explique le rejet de ses spécificités. C'est un facteur psychologique et historique qu’il ne faut pas négliger y compris dans le rejet du français au profit de l’anglais parlé au Proche Orient.

Une société patriarcale

Les critiques les plus violentes concernent certains termes et expressions crus qui existent dans le roman et que beaucoup ont qualifiés de choquants pour la morale et irrespectueux pour les valeurs traditionnelles d’une société algérienne conservatrice. Ces termes et ces expressions sont un choix littéraire de la part de l’écrivaine sur lequel on peut ne pas être d’accord. Cependant, c’est un langage qui existe en Algérie. Ceux qui ont lancé la cabale contre l’auteure savent très bien que dans de nombreux quartiers, il suffit à une personne de sortir dans la rue pour les entendre. La différence, c’est que Inaam Bayoud les a écrits dans un roman que chacun peut choisir de ne pas lire s’il ne les supporte pas. Alors que dans la rue, ces mots et ces expressions s’imposent à l’oreille et l’individu les subit, surtout les femmes, et les vit comme une violence qui s’exerce contre lui.

L’image d’une société algérienne musulmane pure et qui respecte les valeurs morales et les traditions est l’argument que les islamistes et les conservateurs utilisent dans leur critique de l’Occident, toujours présenté comme le monde de la dépravation et pour justifier leur rejet de tout changement ou de la modernité. Le roman Houaria les contredit en montrant une facette de la société algérienne qui ne correspond pas à celle qu’ils mettent en avant, ce qui explique en partie leur réaction négative et violente à son égard.

Le problème, c’est qu’une société ne peut pas lutter contre ses maux ni résoudre ses problèmes si elle ne reconnaît pas leur existence. Au lieu d’accuser l’auteure de comploter contre la société algérienne pour l’attirer vers le vice et la dégénérescence morale, il serait plus sage de considérer le livre comme une invitation à réfléchir sur les maux de la société et de profiter de l’occasion pour mettre en lumière ses problèmes afin de les résoudre.

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Beaucoup d’Algériens qui ont défendu Houaria et son auteure ont souligné que ce n’était pas la première fois qu’un romancier algérien utilisait ce genre de termes, brisait les tabous et transcendait les normes sociales et littéraires. Pourquoi alors toute cette polémique et ces accusations contre Houaria ? Sans doute parce qu’il s’agit de la femme. L’écrivain est une femme, l’éditeur du livre, Asia Ali Mussa, est une femme aussi et le titre du roman symbolise la femme.

La société algérienne est très patriarcale, c’est-à-dire très discriminatoire. Un acte qu’elle peut accepter pour un homme devient à ses yeux un crime odieux et impardonnable quand il s’agit d’une femme. Il y a aussi le fait que les sociétés musulmanes connaissent, depuis la fin du XXe siècle, un retour au religieux et un renforcement du conservatisme et de l’islamisme, un phénomène auquel l’Algérie n’échappe pas. Là aussi, plus la société se radicalise et s’islamise, plus les discriminations à l’égard des femmes se renforcent.

Pour en finir, la critique littéraire est nécessaire pour la littérature. Elle fait même partie de l’œuvre. Elle se pratique avec des instruments littéraires, ce qui fait qu’elle est en elle-même une œuvre littéraire. Les insultes envers les auteurs, les accusations et les appels à interdire les ouvrages ne font pas partie de la critique littéraire ni du débat d’idées et ne peuvent pas être des critères qui déterminent la valeur d’une œuvre littéraire.

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