« ELLE MARCHE SUR UN éQUILIBRE FRAGILE » : KAMALA HARRIS PEUT-ELLE INFLéCHIR UN CHANGEMENT VIS-à-VIS D’ISRAëL ?

Kamala Harris pourrait-elle insuffler une ligne plus nuancée vis-à-vis d’Israël ? Soutien jusqu’ici indéfectible de l’État hébreu, Joe Biden laisse désormais la place à sa vice-présidente dans la course à la Maison Blanche. Un revirement qui charrie déjà son lot d’incertitudes sur plusieurs sujets brûlants. Parmi eux, le dossier palestinien. De passage à Washington, Benyamin Netanyahou a rencontré jeudi Joe Biden, avant de s’entretenir avec sa vice-présidente. Mais derrière les poignées de mains et les sourires crispés, l’entente entre Harris et Netanyahou est-elle si évidente ?

L’intéressée a évoqué une rencontre « franche » lors de laquelle elle aurait insisté auprès du leader israélien sur la nécessité de conclure un accord de cessez-le-feu, déplorant une guerre « dévastatrice ». Un ton qui tranche avec les habitudes du président sortant.

Bien sûr, l’ex-procureure de Californie n’a jamais contredit le président Biden sur Israël. Il n’empêche, certaines de ses déclarations ont laissé entrevoir ces derniers mois une possible inflexion par rapport à la ligne officielle. « Elle se montre assurément plus ferme vis-à-vis de Netanyahou, confirme Karim Émile Bitar, chercheur associé à l’IRIS. Elle a d’ailleurs donné un signe en ce sens, en ne se rendant pas présente à son discours mercredi, au Congrès », rappelle ce spécialiste de la politique étrangère des États-Unis.

Une ligne « plus ferme » et « humaniste »

Son équipe a bien tenté de minimiser la portée de son absence, justifiant des contraintes d’emploi du temps. Des doutes restent toutefois permis. « Si elle avait voulu, elle aurait pu être là. Elle n’apprécie pas Netanyahou. Ne pas se montrer était aussi une façon de ne pas trop se mouiller », juge Jérôme Viala-Gaudefroy, maître de conférences à Sciences-po Saint-Germain-en-Laye. Sans condamner clairement l’État hébreu, Kamala Harris s’est, à plusieurs reprises, émue des conditions inhumaines vécues par les habitants de Gaza. Début mars, lors d’un déplacement en Alabama, elle avait exprimé ses « profondes inquiétudes » face à « l’immense niveau de souffrances » des Palestiniens dans l’enclave palestinienne. « Notre humanité commune nous contraint à agir » avait-elle alors exhorté.

Une position qu’elle avait réitérée quelques jours plus tard à Washington face à Benny Gantz, à l’époque ministre du cabinet de guerre. L’ancienne sénatrice de 59 ans avait même mis en garde Israël face aux « conséquences » que pourrait avoir un assaut sur la ville de Rafah, où s’entassaient plus d’un million de Gazaouis. Sa parole n’a pas été entendue, mais sa liberté de ton a dessiné, au fil des mois, une ligne « plus ferme » et « humaniste », que celle défendue jusqu’ici par Biden, note Jérôme Viala-Gaudefroy.

« Elle a de fait, une vision moins mythique d’Israël que celle de Joe Biden qui a vu naître cet État et qui a connu Golda Meir [ancienne Première ministre et pionnière dans la création d’Israël] », complète-t-il. Autre signe de cette discordance, l’arrivée de Harris à la Maison Blanche conduirait à remplacer rapidement l’actuel bureau de sécurité nationale - le conseiller du président Jake Sullivan, le chef de la diplomatie, Antony Blinken et le ministre de la Défense, Lloyd Austin - en charge du dossier palestinien, soutient le Wall Street Journal, citant des officiels américains.

Des divisions chez les démocrates

Loin d’être marginales, les préoccupations liées au désastre humanitaire à Gaza réveillent les divisions au sein du parti démocrate. « Il y a un clivage générationnel assez fort : les jeunes démocrates se montrent particulièrement sensibles à la souffrance des Palestiniens. Mais il y a aussi des divisions entre la frange progressiste et celle plus traditionnelle, représentée par Biden et qui soutient de façon quasi inconditionnelle Israël », observe Karim Émile Bitar. Sans se placer à l’aile gauche du parti, Kamala Harris s’efforce de maintenir un équilibre fragile entre un soutien à l’allié israélien et une condamnation du massacre à Gaza.

Une position finalement assez centriste, un qualificatif que beaucoup lui reconnaissent. De façon générale, « elle est considérée comme modérée par les progressistes… mais les modérés la considèrent comme progressiste », remarque Alexis Buisson, journaliste indépendant, auteur de « Kamala Harris l’héritière » (2023, L’Archipel). Au final, ses positions parfois nuancées pourront-elles lui faire gagner des voix à gauche ? « Sa marge de manœuvre reste limitée. Elle ne pourra évidemment pas changer diamétralement de la ligne officielle », avance Jérôme Viala-Gaudefroy.

Jusqu’ici une partie des électeurs démocrates se montre toujours hostile à la ligne de soutien défendue par Biden vis-à-vis d’Israël. Un constat qui pourrait mettre en péril les chances pour la gauche de l’emporter dans certains Etats-clés, comme celui du Michigan qui compte une importante communauté d’origine arabe. « Elle marche sur un équilibre fragile, résume Karim Émile Bitar. Mais elle sait qu’elle aura du mal à l’emporter si elle ne bénéficie pas de l’élan d’enthousiasme qu’incarne la jeunesse démocrate, moins alignée sur les positions israéliennes ».

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